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Appel à contribution: De l’Opposition au Pouvoir d’Etat : que faire ?

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Après des échecs récurrents des formations et partis politiques de l’opposition aux différentes consultations électorales et face à la difficulté à accéder au pouvoir d’État au Cameroun, la rédaction de Germinal a décidé d’engager une réflexion sur la problématique de l’accession de l’opposition au pouvoir d’État au Cameroun, et dans une certaine mesure, dans certains États d’Afrique. Cette réflexion, qui a pour thème, De l’opposition au pouvoir d’État : que faire ?, sera publiée dans une édition spéciale de Germinal en fin juillet - début août 2020.
Si vous voulez participer à cette aventure et donner un coup de pouce intellectuel aux partis et formations politiques de l’opposition, vos contributions sont attendues au plus tard le 15 juillet 2020.
Longueur du texte 5300 mots, 32 000 -35 000 caractères, espaces compris.
Chaque contributeur devra joindre à son texte une note le présentant (225-250 mots).
Les thèmes de cette réflexion feront l’objet de trois discussions publiques dans le cadre de La Grande Palabre, après la période de confinement.
Contact téléphone/WhatsApp +237 677 31 48 98
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Thème : De l’Opposition au Pouvoir d’Etat : que faire ?

DOCUMENT d’ORIENTATION

PROBLEMATIQUE / EDITORIAL (ou éléments pour un éditorial possible)

Comment, de l’opposition, accéder au pouvoir d’Etat ?
Question du « comment », question essentielle de la stratégie. C’est-à-dire de la ligne de conduite générale dont les actes posés au quotidien, au coup par coup, expriment les inflexions tactiques multiples, diverses, contrastées, éventuellement contradictoires parfois, mais invariablement ordonnées au même dessein fondamental : la stratégie trace, avec fermeté, l’épure de la démarche d’ensemble, la tactique en négocie, avec souplesse, la mise en œuvre des multiples et diverses phases conjoncturelles.
Accéder au pouvoir d’Etat suppose qu’on parte d’un lieu qui n’est précisément pas celui du pouvoir d’Etat, mais faut-il pour autant l’appréhender comme dénué de tout pouvoir, ou bien au contraire le saisir comme le creuset déjà de phénomènes de pouvoir, et comme, par suite, la préparation et l’anticipation d’un pouvoir auquel l’institution étatique ne fait que donner une dimension spécifique ?
Démêler l’écheveau de ces interrogations, c’est commencer par se faire du pouvoir une idée nette. est-ce, comme l’entend spontanément le commun, le déploiement sans contrainte aucune, de notre volonté, ou bien au contraire, la contrainte intelligemment assumée et ordonnée à quelque dessein voulu ?
Il n’y a cependant pas que le concept de pouvoir, et mieux encore, d’Etat et de pouvoir d’Etat qui appellent une clarification. La simplicité et la clarté lexicale apparentes de celui d’Opposition suffisent-elles à en faire un concept à la signification univoque, identique pour chacun des usagers que nous sommes ? Pour le dire autrement, l’opposition est-elle une ou multiple ?
Si, comme on peut le pressentir, mieux vaudrait en parler au pluriel plutôt qu’au singulier, il devrait y avoir, en toute logique, une multiplicité et une diversité, à tout le moins, des approches de la question de l’accès au pouvoir d’Etat, à partir d’une position d’opposition au pouvoir d’Etat. A supposer qu’il en aille ainsi, leur multiplicité et leur diversité rendent-elles équivalentes toutes les positions d’opposition au pouvoir d’Etat ? Le fait qu’il n’y ait pas seulement une, mais plus d’une façon de passer de l’opposition au pouvoir d’Etat signifie-t-il que toutes se vaudraient ? Pas uniquement par leur résultat (l’occupation d’une position de pouvoir), mais encore et surtout par les effets induits de l’ensemble de la démarche d’accès au pouvoir d’Etat ? Peut-on, en toute légitimité, dire que la façon d’arriver au pouvoir d’Etat importe peu, et que seul compte le fait d’y parvenir ? Selon qu’à cette question, on répond par l’affirmative ou la négative, on choisit d’oblitérer ou de dévoiler un aspect de la relation de pouvoir, aujourd’hui ligne de partage de notre société en deux camps distincts, l’aspect par où la pratique du pouvoir d’Etat serait déliée de toute éthique, ou bien au contraire liée à des préoccupations d’ordre moral.
On voit de la sorte que la question initiale « que faire ? », ne nous convie pas uniquement à quelque banale recollection des pratiques oppositionnelles. Elle interroge essentiellement en direction des fondements de toute pratique, celles qui sont en vigueur, certes, mais aussi et surtout celles qui sont possibles, au sens de faisables, praticables, quand même le réel n’en offrirait pas, pour de vrai, la figure accomplie.
Cela dit, la question qui nous préoccupe ayant subi, chez-nous, l’épreuve de la pratique sociohistorique, c’est aussi à cette aune qu’il est légitime de l’examiner. De l’opposition au pouvoir d’Etat, deux voies ont été expérimentées : les urnes et les armes. Quel bilan peut-on, à bon droit, en dresser ? Peut-on, comme le commun s’y emploie spontanément, parler d’«échec» ? Ou, avec le lettré coutumier du sens de la nuance, ou peut-être de l’habitude de l’indécision, de « succès mitigé » ?
Que faire désormais ? Conclure, comme ceux qui, ruse ou faiblesse et absence de lucidité critique, laissent les faits décider pour eux, à l’impossibilité de toute évolution, de tout changement, et sombrer dans le défaitisme, et même dans le fatalisme où, apparemment revenu de tout, on porte désormais sur le monde un regard sombre empreint d’une sorte d’ineffable commisération dédaigneuse ? Ou bien, s’armant d’un volontarisme à toute épreuve, poser que si rien n’est gagné, tout n’est jamais perdu, et que tout est possible à tout moment ? Ou, autre possibilité, faut-il, en militant éprouvé, mais qui s’efforce, cahin caha, de résister au milieu d’immenses difficultés de toutes sortes, conclure que si, de fait, recevable en théorie, une démarche ne se met pas en œuvre en pratique, c’est bien sa théorie elle-même qu’il convient d’entreprendre de remettre en question, du moment qu’il n’est de pratique que d’une théorie ?
On le voit, il est vaste, le champ d’investigation couvert par notre interrogation initiale. En admettant qu’il ne soit pas insensé de prétendre, comme on aime à le dire si souvent, que « l’opposition a échoué », ce n’est pas seulement son « échec », à le supposer réel, qu’il faudrait interroger : il faudrait remonter de l’embouchure à la source, et saisir en conséquence, non pas une ou plus d’une erreur, non pas une ou plus d’une faute, l’erreur étant une défaillance de l’intelligence, et la faute une défaillance de la volonté, mais il faudrait saisir le processus constitutif de toute erreur et/ou de toute faute. Autrement dit, il faut se demander ce qui rend possible l’ « échec ».
La question de fond pourrait donc être la suivante : d’où vient-il que ni les urnes, ni les armes n’aient pu générer de modification substantielle et significative du pouvoir d’Etat, de l’époque coloniale à ce jour ?
D’aucuns ont accoutumé d’y répondre en faisant valoir invariablement l’argument personnel, celui d’individus pris en eux-mêmes, ou considérés comme membres indéfectibles et reflets obligés, par conséquent, de groupes essentiellement perçus comme ethniques, et pas autrement : si ça n’a pas marché, ce serait donc la faute à X, Y, ou Z, et de proche en proche, à la tribu/ethnie qu’on lui prête, ou à laquelle on l’inféode, généreusement en quelque sorte.
Et si l’on délaissait la quête obsessionnelle du/des coupable (s), autrement dit si on abandonnait ce raisonnement par imputation pour s’efforcer de discerner et de cerner les conditions et les circonstances dans lesquelles toute « culpabilité », ou même simplement, toute « responsabilité » devient possible, et pour ainsi dire, inéluctable ?
L’hypothèse est donc la suivante : indépendants de la volonté consciente et délibérée des individus et des groupes, tribaux/ethniques, mais pas seulement, dans lesquels on les insère, ce qu’on appelle « l’échec » ou encore les « déboires et malaises » de l’opposition, n’interpelle pas d’abord et fondamentalement notre connaissance des individus, et des groupes : seulement notre saisie, correcte ou non, des rapports ; lesquels renvoient au caractère d’une époque, au « jeu » des forces en présence et en lutte, qu’on ne saurait, sauf abus ou méprise, réduire à quelque conflit de personnes, de générations ou de tribus/d’ethnies.
De sorte que, plutôt que de nous en prendre aux personnes auxquelles toutes sortes de tares sont prêtées dont nous sommes spontanément prodigues, sans doute gagnerions-nous à commencer par raison garder, en perdant le moins possible notre sang froid, afin de saisir les processus dans lesquels nous-mêmes sommes engagés/embarqués, aussi bien comme observateurs qu’observés.
Peut-être, justement, la fusion de ces deux personnages en un seul est-elle ce qui nous rend si difficile l’analyse de notre formation sociale ; et plus facile, en revanche, la propension à adopter, sans critique, le verdict du regard des autres sur nous-mêmes.
Si donc comme cela se dit, « l’opposition a échoué », alors il reste à tirer les conséquences du constat, à le supposer fondé : en reprenant les questions à la base, c’est-à-dire en reconstruisant nos instruments de lutte, partis et/ou associations. S’il y a, comme on dit, des erreurs et des fautes assorties de défaites subséquentes, alors nous faudrait-il passer ces échecs nôtres au crible de la critique.
A trop cheviller ce qu’on prend pour les tares de l’opposition aux individus et à leurs extractions ethniques/tribales, on en fait, à tort, de simples et banals accidents qu’une modification du personnel politique suffirait à enrayer. Mais quand il s’agirait de tares avérées, elles ne se donneraient pas comme étant à comprendre : seulement comme ce qui pourrait faire comprendre quelque chose aux processus sociaux effectifs. Or, pour qu’elles expliquent quoi que ce soit, il faut commencer par les désorbiter des individus et des groupes, pour y déceler la forme de la substance même de l’issue de la lutte à une période donnée. Que les tares reviennent d’une période à une autre, cela signifie qu’elles débordent les personnes et les groupes pour se rapporter à quelque propriété sui generis des structures elles-mêmes, forme des conditions et des circonstances au sein desquelles évoluent individus et groupes. C’est sur ces conditions et circonstances, ces structures en somme, qu’il convient de porter notre regard, si du moins notre dessein est de comprendre le fonctionnement de notre monde, condition de toute possibilité d’action susceptible d’efficience en son sein, et sur lui, comme sur nous-mêmes.

Notre lucidité commande de douter de l'efficacité des contrefactuels. Face au doute, peut-être devrait-on aller à la racine des campagnes perdantes : animateurs, parcours préalable, type et durée de préparation, moyens, mapping out de la géographie électorale, fundraising, sensibilisation, recrutement des candidats, identification des personnalités dans chaque circonscription, stratégie, etc. D'autres pistes sont possibles : construction d'une pyramide électorale, mécanismes préventifs contre la fraude, pression préélectorale pour rendre le processus transparent, leçons du passé, examen comparé des stratégies de campagnes au Cameroun et ailleurs. La politique est un métier qui exige d'importants investissements pour construire l'épine dorsale d'une campagne. Nos partis disposent-ils de ce type de savoir-faire ?    

Peut-être fraudait-il éviter, pour la reconstruction, de céder à la tentation de s'ériger en donneur des leçons; se garder de psalmodier, comme les doctes savants des chaines de télévision, une série de pompeuses sentences : il aurait suffi de faire X, Y ou Z, si l'on avait songé à faire ceci ou cela, etc.

Mais, que reconstruire, comment et avec qui ?

Toute réponse documentée et par conséquent solide à cette question suppose prise en compte de la donnée suivante : ce qu’on appelle « l’échec de l’opposition » enveloppe et dissimule tout à la fois un double dessein fondamental, sans relâche ni trêve poursuivi par le système socio-économique et politico-idéologique en place, depuis toujours : d’abord, au plan politique, il s’agit de la destruction, implacablement et comme obsessionnellement recherchée, de ce que Ruben Um Nyobè appelait le « Mouvement National kamerunais », qu’il se gardait bien, en révolutionnaire clairvoyant, de confondre avec son propre Parti, la glorieuse UPC, qu’il considérait, certes, comme l’avant-garde de ce Mouvement, mais pas comme le Mouvement tout entier, qui le débordait par conséquent, et que l’avant-garde s’efforçait simplement d’orienter, de guider, d’accompagner de sa clairvoyance en somme. Ce que Ruben appelait ainsi, nous le nommerions, aujourd’hui, le Mouvement Autonome des Masses ou des Citoyens, qu’on peut, comme individus, ou comme groupes, certes, influencer, mais que personne, jamais, ne crée, de toute pièce, tout seul, d’un coup de baguette magique en quelque sorte.
Au vrai, le Mouvement autonome des Citoyens a pour condition préalable, la promotion et surtout l’intensification d’un Courant d’Opinion, à travers des espaces de discussion, de la parole et de la citoyenneté, qu’individus et groupes peuvent, certes, marquer de leur empreinte, mais qui est toujours un bel ouvrage collectif. C’est, une fois devenu puissant, que ce Courant transcroît en un Mouvement dans lequel les idées passent, de la simple émission partagée, à leur ritualisation dans des actes physiques, des conduites motrices, des comportements individuels et collectifs organisés, synchronisés, et ordonnés à quelque dessein déterminé, pensé, mûri, collectivement arrêté.
Aujourd’hui, comme hier, il s’agit d’étouffer, de détruire le mouvement de masse ou des citoyens dans l’œuf, en empêchant l’éclosion du courant d’opinion, ou en l’enrayant, vaille que vaille, par tous les moyens. Les interdictions de La Grande Palabre en sont une illustration patente.
Ce que recèle et cache ensuite ce qu’on dit être « l’échec de l’opposition », c’est l’incoercible et tenace volonté d’empêcher, vaille que vaille, la transcroissance du mouvement autonome des citoyens en un Mouvement révolutionnaire. Pour y parvenir, il s’agit, au plan économique cette fois-ci, de mettre au plus bas le pouvoir d’achat des travailleurs, tous les secteurs confondus, public et privé : en gommant la classe moyenne, on crée, artificiellement, deux pôles, celui du trop et celui du trop peu, entre lesquels on aménage un immense gouffre où viennent se perdre les velléités de lutte : la misère exacerbée ne conduit pas automatiquement à la révolution, ni même à la simple révolte, la différence entre les deux étant que la révolte part du réel à l’idée qui le nie, tandis que la révolution refait le chemin inverse, de l’idée autre au réel qu’elle féconde et transforme : la trop grande misère délibérément créée, savamment et insidieusement entretenue, assomme la conscience et la polarise sur la quête obsessionnelle de la survie quotidienne dans laquelle on est réduit, quoi qu’on fasse, à mener une existence purement végétative rythmée par l’accomplissement des fonctions naturelles primaires, à savoir, manger, boire, dormir, expulser les déchets, etc.
On ne saurait, raisonnablement du moins, discuter des « tares » et des mérites possibles de l’opposition, en faisant fi des données que voilà. Tout ce qu’on peut en dire, en bien comme en mal ne prend véritablement sens qu’une fois inséré dans le contexte aux traits fondamentaux ainsi brossés, de manière cursive.
Le problème, dès lors, devient le suivant : l’opposition peut-elle accéder au pouvoir dans l’ignorance des deux obstructions mises sur son chemin, avant même qu’elle n’ait entrepris de l’arpenter, à savoir, d’une part, rompre tout lien entre elle et, d’abord, le courant d’opinion, ensuite, le mouvement autonome des masses et des citoyens, et d’autre part, empêcher la transcroissance du courant d’opinion en mouvement autonome des masses et citoyens, puis celle du mouvement autonome des masses et citoyens en mouvement révolutionnaire ? Ignorer ces obstacles dirimants, ce serait comme se mouvoir à l’aveuglette, en sachant sans doute ce qu’on veut, le pouvoir, mais sans prendre la mesure exacte des difficultés dont l’amoncellement, d’ordinaire, génère le reflux de la conscience, par-delà son abattement.
Gardons-nous d’imputer à ratiocinations de lettrés les considérations que voilà : la preuve de leur véracité, nous l’avons dans l’aveu délibéré d’un Pierre Mesmer, administrateur des colonies et ministre expliquant que l’UPC ayant été au sein des masses comme poisson dans l’eau, il leur a fallu « pomper l’eau », en coupant les populations des révolutionnaires. Cette stratégie contre-révolutionnaire a si bien marché que ses effets désastreux inspirent à l’essayiste la métaphore de « la baleine échouée sur la plage », par laquelle Mongo Béti désigne la glorieuse UPC une fois amoindrie du fait de la répression.
Il ne semble guère que la situation actuelle de l’opposition, malgré les inévitables modifications dues, à tout le moins, aux différences d’époque et de lieu, ait substantiellement changé : à son égard, pour nous en tenir à un unique fait expressif, le Droit n’est pas plus équitable, ni plus clément aujourd’hui qu’hier, il l’est même plutôt moins.
Pour cette raison, plutôt que de vitupérer on ne sait quelle fixation au passé, plutôt que de confondre assez stupidement d’ailleurs, le passé avec le dépassé et le démodé, plutôt que de croire que le passé pris en bloc est l’antonyme obligé de la modernité, plutôt que de croire que tout ce qui est d’aujourd’hui est moderne et bon par conséquent, mieux vaudrait avoir la modestie d’apprendre du passé ce qui permet de comprendre le présent, et de mieux affronter le futur, en s’armant de ce qui, seul, permet de pratiquer un libre rapport, aussi bien au passé qu’au présent et au futur, le projet que nous formons pour nous-mêmes comme Totalité sociale.