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Réunions publiques : L’Etat du Cameroun condamné dans les affaires l’opposant au journal Germinal

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Jean-Bosco Talla : « Ces décisions paralysent les dérives des sous-préfets »

Le directeur de la publication de Germinal obtient deux décisions de justice historiques annulant les décisions des sous-préfets de Yaoundé 1 et 2 interdisant l’organisation des réunions publiques et condamnant l’Etat à verser à l’organe de presse qu’il dirige des dommages conséquents. Lisez plutôt !

Vous venez de remporter deux victoires historiques contre les sous-préfets de Yaoundé 1 et de Yaoundé 2é, en obtenant devant le tribunal administratif du Centre à Yaoundé, l’annulation des décisions qui interdisaient il y a cinq ans, l’organisation des réunions publiques par votre journal, Germinal... Racontez-nous ces cinq années de procédures.
En réalité, je ne sais pas si en quelques lignes, je peux raconter dans les détails ces cinq années épuisantes, éreintantes et ruineuses des procédures devant le tribunal administratif du centre à Yaoundé. Cependant, je peux faire une économie des procédures et au-delà indiquer les difficultés rencontrées. Comme vous le dites, le tribunal administratif du centre vient de rendre deux décisions historiques, annulant deux décisions des sous-préfets

de Yaoundé de 1er et de Yaoundé 2, interdisant l’organisation par Germinal des réunions publiques que nous avions dénommées La Grande Palabre. Avant toute chose, permettez-moi de dire que nous avons intenté trois procès contre l’État du Cameroun : un contre le sous-préfet de Yaoundé 2 et deux contre le sous-préfet de Yaoundé 1 dont une décision de justice vient d’être rendue, l’autre étant encore en cours d’instruction ou en attente de jugement.
Tout commence donc le 6 novembre 2014. Dans le cadre de ses débats mensuels, Germinal décide de donner la parole à un invité spécial, Christopher Fomunyoh, directeur Afrique du NDI, qui devait entretenir l’auditoire sur le thème : Institutions démocratiques, libertés, gouvernance économique et sociale : quelles perspectives pour le Cameroun et l’Afrique d’aujourd’hui et de demain ?  Pour cela, nous nous conformons, comme à l’accoutumée, aux dispositions de la loi n°90/055 du 19 décembre 1990 relatives aux réunions et manifestations publiques, en déposant auprès du sous-préfet de l’arrondissement de Yaoundé 1, une déclaration de réunion publique. Grande est notre surprise, quand le 6 novembre 2014, date indiquée sur notre déclaration pour la tenue de cette réunion publique, nous recevons de l’autorité administrative une décision d’interdiction de ladite réunion. Motifs invoqués : « l’objet de la conférence-débat en date du novembre 2014 est contraire aux dispositions de la loi sur la communication sociale et au récépissé de déclaration de votre organe de presse ». Toutes les démarches entreprises pour lui faire entendre raison sont restées vaines. Au cours d’une conversation, il nous fait comprendre que c’est son supérieur hiérarchique, le préfet du Mfoundi, Jean-Claude Tsila, qui lui a donné l’ordre d’interdire notre conférence-débat soi-disant que Germinal est contre le régime. C’est pourquoi il nous conseille de nous référer à sa hiérarchie. Un recours hiérarchique adressé au préfet du Mfoundi et toutes nos tentatives de le rencontrer sont restés vains. C’est alors que nous décidons d’adresser au sous-préfet de Yaoundé 1, un recours gracieux préalable, respectant ainsi les conditions de saisine contenues dans la loi n°2006/022 DU 29 décembre 2006 fixant l’organisation et le fonctionnementdes tribunaux administratifs.

Quelle suite est donnée au recours gracieux préalable ?
Trois mois après le silence de l’autorité administrative qui signifiait rejet, nous introduisons, le 8 mai 2015, auprès du tribunal administratif un recours contentieux indemnitaire pour excès de pouvoir et détournement de pouvoir. L’état du Cameroun n’a pas jugé nécessaire de produire son mémoire en défense. Le 14 juin 2016, à l’audience publique, après lecture du rapport par le juge rapporteur, les débats s’ouvrent. À la fin des débats, l’affaire est mise en délibéré pour la fin de l’audience. À la fin de l’audience, le délibéré est prorogé, sans motivation pour le 5 juillet 2016. Ce jour-là, le délibéré est rabattu. Les débats sont immédiatement rouverts. Après près d’une heure quinze minutes de débats, l’affaire est à nouveau mise en délibéré pour le 19 juillet 2016, sans que le tribunal nous demande d’apporter des pièces complémentaires. Rendu au tribunal le 19 juillet 2016 à notre grande surprise, il nous a été demandé de compléter le dossier en apportant les pièces jointes à notre déclaration de réunion publique. Le 20 juillet 2016, lesdites pièces jointes sont déposées auprès du tribunal administratif. Il a fallu attendu presque deux années, avant que les débats soient à nouveau rouverts. Et depuis, nous sommes allés de prorogation en prorogation de délibérés, jusqu’au 18 février 2020, date de l’annulation de la décision du sous-préfet de Yaoundé 1 et de la condamnation de l’État du Cameroun à verser à Germinal la somme de 2 000 000 FCFA.
Parallèlement à cette procédure, nous avons introduit, après avoir respecté les conditions de saisine, le 14 octobre 2015, un recours en annulation de la décision n°012/D/J06-01/SP du 03 mars 2015 du sous-préfet de l’arrondissement de Yaoundé 1er et en réparation des préjudices subis. Le motif de l’interdiction dans cette autre affaire était, le « défaut d’existence légale de « La Grande Palabre » créé en février 2011 ». Dans cette procédure, l’État du Cameroun a désigné quelqu’un pour défendre ses intérêts. Après les échanges des écritures, l’affaire a été appelée le 18 février 2020. Et le tribunal administratif du Centre, dans un jugement avant dire droit, s’est déclaré compétent pour connaitre cette affaire. Nous attendons la suite.

Nous étant rendu compte qu’il était devenu impossible d’organiser les conférences-débats dans l’arrondissement de Yaoundé 1er, nous avions décidé de changer d’arrondissement en nous déportant dans l’arrondissement de Yaoundé 2. C’est ainsi qu’après avoir produit l’ouvrage Société civile et engagement politique au Cameroun, nous décidons d’organiser une Conférence-Dédicace dans la salle de conférence d’un hôtel de la place sis dans cet arrondissement. Deux semaines avant la date de l’évènement, nous introduisons, conformément à la loi, une déclaration de réunion publique. Une fois de plus, grande est notre surprise, le 28 janvier 2016, jour prévu pour l’évènement, de recevoir de la police qui avait envahi les lieux, une décision d’interdiction de la réunion publique projetée au motif que : 1) La Grande Palabre n’a pas d’existence légale ; 2), Le journal « Germinal » n’a pas vocation à organiser des conférences-dédicaces ; 3) le risque potentiel de trouble à l’ordre public reste constant.
L’État du Cameroun a désigné quelqu’un pour défendre ses intérêts. Nous avons procédé aux échanges d’écritures. Le tribunal est même allé jusqu’à ordonner une expertise judiciaire, « à l’effet de déterminer si un organe de presse en général et le journal Germinal, en particulier qui est un organe d’information générale, d’enquêtes et d’analyses, a vocation à organiser une conférence-débat ou une conférence-dédicace dans un lieu public ou ouvert au public ». En d’autres termes, si un organe ou une entreprise de presse a vocation à organiser une réunion publique. La réponse de l’expert a été cinglante et sans ambiguïté. La voici : « Examinée sous le double angle législatif et déontologique, la question posée par le tribunal m’amène à conclure conformément à ce qui a déjà été relevé qu’il n’existe aucun obstacle prohibitif à l’organisation par la presse d’une conférence-dédicace par ailleurs. Il s’avère donc, après analyse froide et sans complaisance que la décision attaquée est entachée d’une illégalité flagrante et incontestable, qui frise le musèlement de Germinal aujourd’hui et d’autres organes de presse demain. ». Sur la base des arguments de Germinal et du rapport d’expertise, le tribunal a, le 18 février 2020, annulé la décision d’interdiction du sous-préfet de Yaoundé 2 et a condamné l’État à payer à Germinal la somme de 1 000 000 FCFA.

Qu'est-ce qui vous a motivé pour être aussi tenace ?
Deux choses fondamentales ont motivé et déterminé notre ténacité.
D’abord notre tempérament. Nous ne sommes ni des défaitistes ni des résignés. Nous nous sommes toujours dits que dans une démocrature, en réalité notre Satrapie qui nous tient captifs de nos instincts de conservation et qui se nourrit du défaitisme et de la résignation des populations, nous avons l’obligation de résister, de ne jamais baisser les bras. Car, toute la stratégie des Satrapies et des Satrapes est de susciter chez les citoyens un sentiment d’impuissance qui se traduit par la fameuse expression, « on va faire comment ? ». Nous devons toujours développer des mécanismes de résistance comme ces plantes qui perdent leurs feuilles pendant la saison sèche et les transforment en épines pour limiter la transpiration et lutter contre la sécheresse. Nos convictions et notre détermination nous conduisent à ne jamais céder une parcelle de notre liberté, de nos droits constitutionnellement garantis, à qui que ce soit. Aussi parce que nous pensons que nous sommes en train d’accomplir notre mission. Et comme disait Fanon, chaque génération découvre sa mission, l'accomplit ou la trahit.
Ensuite les enjeux de ces procès. En réalité, ces procès avaient un double enjeu.
L’un des enjeux était relatif à la liberté d’expression. L’expert requis à vite perçu cet enjeu. C’est la raison pour laquelle il a écrit noir sur blanc que cette décision entachée d’irrégularité flagrante « frise le musèlement de Germinal aujourd’hui et d’autres organes de presse demain ». C’est dire que si Germinal perdait ces procès, c’est la liberté d’expression qui prenait un sérieux coup et aucun organe de presse, aucune entreprise de presse ne pouvaient plus prétendre un jour organiser un débat public au Cameroun ou une réunion publique. Ce qui devait constituer un recul démocratique majeur. Pour nous, il fallait défendre la liberté d’expression à tout prix et à tous les prix.
L’autre enjeu était relatif aux libertés fondamentales, notamment la liberté de réunion publique. Nous étions déterminés à faire en sorte qu’il y ait désormais au Cameroun, en matière de réunion publique, une jurisprudence.

Quelle est la portée de cette victoire sur le plan des " libertés publiques"?
Comme j’ai dit à certains confrères, l'essentiel pour nous, ce sont les conséquences et les implications de ces décisions qui sont immenses pour toute la société. Elles paralysent les dérives maladives des autorités administratives dans leurs manies d'interdire systématiquement les réunions publiques. Elles libèrent ainsi le champ des réunions publiques et les sous-préfets ne pourront plus dire que les médias et autres entreprises de presse n'ont pas vocation à organiser les réunions publiques ou les conférences-débats.
À partir de maintenant, il existe au Cameroun, une jurisprudence Germinal, en matière de réunions publiques. Et il est aussi désormais interdit aux autorités administratives d'interdire les réunions publiques.
Vous n'avez pas eu peur de cette justice camerounaise dont on dit qu'elle est " aux ordres "?
Nous respectons toutes les institutions de notre pays, notamment l’institution judiciaire où les juges rendent justice au nom du peuple camerounais. Nous n’avons ni peur desdites institutions ni de qui que ce soit quand il est question de défendre nos droits constitutionnellement garantis.
En parlant de la justice dite, « aux ordres », comme vous venez aussi de faire allusion à notre ténacité, vous laissez sous-entendre les difficultés que nous avons rencontrées au cours des cinq années qu’ont duré ces procédures. Ces difficultés sont de plusieurs ordres. Je n’irai pas vite en besogne, pour affirmer sans arguments que notre justice est « aux ordres », même comme on dit qu'une hirondelle ne fait pas le printemps. D’après ce que nous avons observé tout au long des procédures, je peux dire j’ai eu affaire aux magistrats (la plupart d’ailleurs) qui ont la volonté de bien faire leur travail, mais qui sont soumis aux contraintes du système politique en général qui les empêchent de faire leur travail. À ces contraintes liées au système s’ajoutent celles relatives à l’insuffisance du personnel et à leurs conditions de travail qui ne favorisent pas leur plein épanouissement. Que peut faire un magistrat qui doit se pencher sur 500 dossiers, dans un environnement professionnel où il ne dispose même pas de scanner ou de logiciel lui permettant de récupérer un texte, avant de le transformer en version modifiable, pour ne citer que cet exemple.
À cela s’ajoute l’organisation et le fonctionnement des tribunaux administratifs conformément à la loi sus-citée. L’introduction du parquet général dans la composition des tribunaux administratifs est venue alourdir le travail des juges administratifs. Le cimetière des dossiers se trouve au parquet général où le justiciable peut attendre deux années avant qu’un avocat général produise ses conclusions dans une affaire. Pendant les cinq années qu’ont duré les procédures, nous avons été obligés d’introduire auprès du procureur général cinq demandes d’audience et de lui écrire autant de fois pour que nos dossiers bougent au Parquet général. Après avoir reçu notre dernière lettre, il a dû taper du poing sur la table avant que sa collaboratrice produise les conclusions. Vous comprenez aussi que les difficultés rencontrées sont aussi liées à la personne des magistrats qui traitent le dossier. Jusqu’à ce jour, nous ne comprenons pas pourquoi la magistrate à qui nos dossiers étaient côtés, s’abstenait ou refusait de produire les conclusions à temps. Il est vrai qu’un jour dans le bureau d’un avocat général à qui le procureur général avait demandé de me recevoir, ne sachant pas que j’étais concerné par le dossier, elle avait déclaré que les dossiers de Germinal étaient suivis. Par qui ? Je ne peux le dire.
La présence du parquet général dans la procédure non seulement alourdit et entraine des lenteurs judiciaires, mais déséquilibre le procès où les intérêts de l’État sont défendus non seulement pas le parquet général, mais également par les avocats ou personnes désignées pour le faire. Heureusement, qu’à côté d’eux, les magistrats sont très souvent indépendants et ne les suivent pas toujours dans leurs conclusions comme cela a été le cas avec Germinal.

Toutes ces procédures coûtent cher en temps et en argent surtout. Comment avez vois fait ?
En effet ! Elles sont ruineuses, éreintantes, chronophages et déstabilisatrices. Nous avons été obligés de suspendre la parution de Germinal pour nous concentrer sur ces procès. Nous avons bénéficié, des confrères, amis parents, d’appuis et encouragements multiples : intellectuels, matériel, financière. Pour supporter certains coûts, nous avons aussi été obligés de brader quelques ouvrages de La Grande Palabre.

C'est anecdotique, mais si on vous demandait des chiffres... Le nombre de correspondances adressées, le nombre d'audiences auxquelles vous avez assisté ? Le nombre d'heures par jour consacrées à ces affaires ? Le nombre de personnes qui vous ont aidées ?
Je dois avouer que l’aspect relatif à la comptabilité n’avait pas encore traversé mon esprit. Toujours est-il que nous pouvons estimer le coût global à plusieurs millions de FCFA si nous tenons comptons de la durée, de notre investissement personnel et des appuis multiformes, comme je l’ai dit, venant d’amis, de confrères et parents. Il nous est vraiment difficile d’estimer le nombre d’heures consacrées à ces affaires, étant donné qu’elles étaient devenues l’objet de notre principale préoccupation. Je viens de vous dire que nous avons été obligés de suspendre la production de Germinal pour nous consacrer à ces affaires. Nous prendrons le temps nécessaire pour chiffrer exactement les activités y relatives. En ce qui concerne les audiences, pour les trois procédures, je peux estimer à une vingtaine. Là aussi il faudrait prendre du temps pour faire un récapitulatif.
Nous avons adressé au procureur général cinq lettres, et au président du tribunal administratif du centre, deux lettres dont une lettre ouverte.

Quel regard portez-vous désormais sur ces sous-préfets qui interdisent les réunions publiques au mépris de nos lois ?
Après ces décisions condamnant l’État du Cameroun, les autorités administratives savent désormais à quoi s’en tenir. Ils doivent savoir que s’ils continuent, dans leur zèle, à interdire les réunions publiques, ils exposeront l’État à des condamnations et aux paiements des dommages exorbitants aux victimes. En faisant perdre de l’argent à l’État, ils contraindront l’État à exercer une action récursoire contre eux, car ils auront été à l’origine des dommages causés au tiers..
Propos recueillis par :
Haman Mana
Source : Le Jour n°3117 du vendredi 21 février 2020, page 9.