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Lettre ouverte à Monsieur le ministre de la Communication,

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Monsieur le ministre,

Dans une interview récente publiée par Cameroon tribune (édition du 7 avril), vous citez le cas de Associated Press qui d’après vous, serait le « reflet de la position gouvernementale des Etats-Unis d’Amérique ». Vous confortez cette analyse hardie en laissant entendre que Reuters en Grande Bretagne et l’AFP en France partagent la même posture : servir de porte-voix au gouvernement. C’est une énorme contre-vérité qui est passée inaperçue et que je me permets de dénoncer avec la plus grande fermeté, en raison du minimum de connaissance du secteur des médias que je partage avec des milliers d’autres consoeurs et confrères de par le monde.

En 1967, quand je recevais mes premiers cours de journalisme à l’Institut Ali Bach Hamba de Tunis, sous la sévère supervision de mon maître à penser feu André Boyer, l’une des premières leçons portait sur le journalisme d’agence. Et l’on nous enseignait qu’une dépêche d’agence se contente de rapporter des faits vérifiés et ne doit pas refléter même le sentiment propre du journaliste qui l’a rédigé. Donc, non seulement, une agence de presse digne de ce nom, ne peut pas être partisane au service d’intérêts particuliers, mais encore même le journaliste n’a pas le droit d’émettre sa propre opinion. On ne lui demande pas de dire ce qu’il pense de ceci ou de cela : on attend de lui qu’il rapporte des faits. J’ouvre ici une parenthèse pour noter que l’une des raisons pour lesquelles la qualité de la rédaction de la presse nationale laisse à désirer vient de l’absence d’une agence de presse généraliste dans le pays. Faute de cette grossiste de l’information, les journalistes sont réduits à « s’abreuver aux sources de la rumeur, de la manipulation, ou à faire recours à leur propre imagination » et c’est pourquoi les médias camerounais tendent à être plus des outils de division et au mieux de diversion, que de véritables instruments de progrès social et de développement politique.

Monsieur le ministre,

Votre sortie inopportune contre les agences de presse relève d’une méconnaissance crasse du fonctionnement des médias. Une agence de presse, qui est en fait un grossiste de l’information fournit cette matière brute à des centaines ou des milliers de clients dont les opinions sont tout aussi diverses. Par exemple, les dépêches de Associated Press que vous citez proviennent de ses 250 bureaux ouverts dans 120 pays et sont publiées chaque jour par plus de 2000 quotidiens à travers le monde, de même que ses reportages audiovisuels sont repris par 5000 radios et télévisions. Croyez-vous vraiment que tous ses clients peuvent ainsi se mettre au service du gouvernement américain pour véhiculer sa propagande sans contrepartie aucune? L’AFP a comme clients, des journaux aussi typés sur le plan des opinions que Le Figaro, Le Monde ou l’Humanité. Croyez-moi, pour tous ces journaux, la dépêche de l’AFP relève de la parole d’évangile. On croit spontanément à ce qu’annonce la dépêche parce que le journalisme d’agence est ainsi conçu qu’il ne peut véhiculer que des messages très proches de la vérité et rien d’autre. Le 12 avril dernier, l’agence a rendu public une charte qui traite des bonnes pratiques éditoriales et déontologiques à l'attention des journalistes de l'AFP. Rédigé en une période de bouleversements profonds du secteur des médias, ce document réaffirme que les journalistes de l'AFP fournissent une couverture exacte, équilibrée et impartiale de l'actualité. Ils corrigent leurs erreurs rapidement et dans la transparence.  Les journalistes de l'AFP visent la neutralité, l'absence de préjugés ou de préférences. Ils ne relaient pas d'influence extérieure. Ils ne peuvent être contraints à accomplir un acte professionnel qui serait contraire à leur conscience.»

Monsieur le ministre,

Après que je vous ai montré ce qu’est une vraie agence de presse, distincte d’une officine gouvernementale comme Chine Nouvelle, examinons à présent la raison de votre malheureuse sortie. En fait, j’ai compris qu’en grossissant le trait, vous vouliez ainsi justifier les raisons qui poussent votre ministère à mettre en place une AVI (Agence virtuelle d’informations). Vous affirmez : « …je peux garantir que cette agence sera une banque de données qui va collecter l’ensemble des informations dignes d’intérêt et dignes d’être portées à la connaissance du public national et international.» Personnellement, je doute de l'utilité d'une telle agence. En 2016, l'Etat du Cameroun ne peut pas se transformer en grossiste de l'information. Avec quelle crédibilité et en direction de quelle clientèle? Cette lubie dont vous êtes héritier avait été initiée en octobre 2008 par votre prédécesseur Monsieur Biyiti qui avait un plan baptisé New Deal communicationnel. Partant du constat que la demande d’informations sur le Cameroun n’est pas suffisamment satisfaite, M Biyiti avait pensé accroître l’offre d’information sur le pays. Pour le faire, il importait selon lui de réveiller le «journalisme d’agence». Il avait alors invité les agents de son ministère à se comporter en «correspondants de presse» par la collecte, le traitement de l’information, et sa transmission à un desk central qu’il allait mettre en place. Voilà ce que l’on appelle un bon diagnostic, mais un mauvais remède. L’objectif au final de M Biyiti, était de créer une agence de presse, ce qui serait une réelle innovation, car faut-il le rappeler, le Cameroun est l’un des rares pays au monde qui ne dispose plus d’une structure de ce genre, rouage essentiel de la circulation de l’information. En son absence, nous ne disposons pas dans ce pays d’une information fiable, non partisane. Dès son indépendance, le Cameroun avait créé en 1960, l’ACAP, son agence de presse dont le rôle était « de rechercher au Cameroun les éléments d’une information complète et objective…et de mettre l’ensemble de ces informations à la disposition de tous usagers, publics ou privés, à titre onéreux et selon des tarifs appropriés». L’Acap perdra son autonomie en 1976, avec son intégration au sein de la Sopecam nouvellement créée, en violation du dispositif législatif qui prescrivait qu’elle ne pouvait être dissoute que par une loi. Les dirigeants de Sopecam accordèrent tout naturellement leur meilleure attention à Cameroon Tribune, la vitrine du groupe, en laissant péricliter le département agence, rebaptisé Camnews qui a disparu lui aussi. Une agence de presse s’impose donc comme une absolue nécessité. Mais à l’inverse de Monsieur Biyiti, je ne crois pas que l’Etat soit le mieux indiqué pour gérer une telle agence, parce que l’Etat n’en a pas les moyens et parce qu’il est partisan quand l’Etat se ramène au gouvernement. Je pense en revanche que l’Etat doit encourager la presse officielle et la presse quotidienne privée à se retrouver ensemble pour relancer une agence d’information digne de ce nom au Cameroun. Une telle agence aurait pour vocation de fournir à tous une information objective, nous éloignant d’un type de journalisme qui, depuis toujours, selon le professeur Boyomo Assala semble avoir imposé aux médias un modèle indépassable –l’oppositionisme, au recours duquel, par-delà les différences somme toute faibles entre les médias, ceux-ci plombent tout débat contradictoire en l’enfermant dans des rets partisans du dialogue des sourds.

Monsieur le ministre,

Il y a quelque temps, j’ai obtenu un tête-à-tête avec vous pour décommander cet éléphant blanc que vous persistez à vouloir créer. Vous vous y êtes mal pris du reste en confiant le projet à votre Direction des Technologies ; or c’est une question de contenu d’abord, les TIC intervenant seulement après ! Depuis bientôt huit ans des budgets publics énormes sont inscrits au bénéfice de ce projet qui je l’espère ne verra jamais le jour ! Mettez ce qui reste de ce budget à la disposition d’une commission paritaire composée de la Sopecam et la CRTV d’un côté et des éditeurs de la presse quotidienne (Le Jour, Mutations, Le Mesager, LNE) et des télévisions établies (Canal 2, STV, Equinoxe) de l’autre pour créer sous forme de coopérative, une agence multimédia dont le rôle sera de rationnaliser et professionnaliser la couverture de l’actualité nationale.

Quant à votre préoccupation légitime de porter loin la parole du gouvernement, je vous conseille d’autres activités à portée immédiate. D’abord rassurez-vous qu’à côté de Cameroon Tribune qui devrait ressusciter l’édition anglaise du quotidien, voulue par ses pères fondateurs, le Journal Officiel est accessible par une diffusion élargie. Aux dernières nouvelles, cet instrument mal aimé du gouvernement, alors que nul n’est censé ignorer la loi, serait édité par une imprimerie de labeur situé au sein de la Présidence de la République ! En combien d’exemplaires et pour quelle distribution ? Ensuite favorisez la mise à la disposition du public des études, monographies, discours qui encombrent les tiroirs des Administrations publiques et auxquels le public n’a pas accès. Deux exemples récents vont illustrer mon propos. Il y a quelques semaines la dernière session du Cameroon Business Forum s’est conclue à Douala par la publication d’un communiqué lapidaire. Il a fallu que vous donniez une conférence de presse, et que votre déclaration liminaire soit reprise intégralement dans Cameroon Tribune pour que nous journalistes, intéressés par les questions économiques comprenions vraiment les détails des sujets débattus. Autre exemple : lors du conseil de cabinet de mars, le Ministre de l’agriculture a fait un exposé sur le plan gouvernemental relatif à la promotion du café et du cacao. Le communiqué de presse traditionnel en a dit quelques mots en deux paragraphes. Pourquoi cet exposé et des centaines d’autres délivrés en pareille circonstance ne sont-ils pas mis à la disposition du public ? Quel secret d’Etat protège-t-on ? Je vous invite à initier une loi sur l'accès aux documents administratifs pour en faciliter la possibilité au grand public. Enfin, je vous saurai gré de convaincre le Cameroun d’adhérer à l’Open government partnership, une plate-forme internationale d’échanges des bonnes pratiques en matière d’ouverture des données publiques (open data) et de gouvernance ouverte (open government). Près de 80 pays sont membres de cette plateforme dont l’ambition est de faire en sorte que la parole publique ne soit plus une langue morte pour les citoyens. « Les gouvernements avaient tendance à verrouiller l’information. Ceux qui détiennent le pouvoir au XXIe siècle ne peuvent plus agir ainsi. Les technologies numériques ont bouleversé les relations entre le gouvernement et les citoyens. L’ouverture des données fait partie de la démocratie et procure la stabilité et la croissance”, analyse Francis Maude, secrétaire d’État au secrétariat du Conseil des ministres du Royaume-Uni, et ancien coprésident de l’OGP.

Jean Vincent Tchienehom, journaliste, rédacteur en chef de Strategie, producteur de Cameroun Vision sur Canal 2.