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Livres Cameroun : L’opposition en panne. Autopsie critique et propositions de relance

Cameroun : L’opposition en panne. Autopsie critique et propositions de relance

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Quand j’avais reçu dans ma boite électronique l’annonce de la parution de cet ouvrage, j’avais immédiatement sauté sur mon téléphone pour joindre le directeur des éditions Lupeppo qui m’avait déjà fait parvenir des ouvrages qu’il  édite. J’étais d’autant enthousiaste que nous étions en train de préparer une Grande Palabre spéciale (colloque) sur l’opposition camerounaise, colloque qui se tiendra les 7, 8 et 9 novembre 2012 ici même au Djeuga hôtel sur le thème Re-penser et re-construire l’opposition camerounaise. Cela veut dire que nos préoccupations se rejoignaient. Et si nous estimons que l’opposition camerounaise doit être re-construite, nous affirmons que le contexte dans lequel elle évolue est celui d’un champ de ruine  et qu’elle se trouve au milieu des gravats, c'est-à-dire que l’opposition camerounaise est en panne, pour parler comme Ahmadou Sehou. Sans nous concerter, sans même savoir que Ahmadou Sehou était sur un projet, nous nous rejoignions donc pour faire ce même constat poignant.
Dans cet ouvrage de 473 pages l’auteur fait une autopsie critique de l’opposition camerounaise en même temps qu’il fait des propositions de relance.
Comme le souligne le préfacier, Mathias Eric Owona Nguini, « L’histoire présenté par Ahmadou Sehou est un travail d’histoire politique oscillant entre histoire immédiate de facture journalistique et histoire du présent de facture technique. Il correspond largement à un exercice combiné de description et de prescription effectué pour rendre compte et rendre raison de l’évolution des formations d’opposition dans l’espace politique national camerounais. L’auteur s’attache en effet à observer les ressorts concrets de l’activité politique des formations d’opposition engagées dans les jeux de pouvoirs associés à la dynamique plus ou moins consistante de démocratisation de la société étatique camerounaise » (p.11)
Aussi, poursuit-il, « le travail élaboré par Ahmadou Sehou apparaît essentiellement comme une production intellectuelle à travers laquelle il mobilise de nombreuses données descriptives pour construire d’abord une phénoménologie de la vie des partis camerounais d’opposition, avant de présenter une analyse axiologique largement prospective et prescriptive des voies normatives de la réforme de ces formations d’opération. » (pp. 11-12).
D’où la structuration de cet essai qui comporte trois grandes parties et 22 chapitres ; la première partie est consacrée à l’État des lieux, la deuxième partie aux problèmes de l’opposition camerounaise, la troisième et dernière partie scrute l’avenir de l’opposition camerounaise. Dans cette dernière partie l’auteur propose des voies et moyens pour sortir de l’impasse actuelle.
Pour l’auteur le « modeste ouvrage » (p.15) que nous présentons ce jour est une « contribution à ce débat sur les mécanismes de dévolution du pouvoir au plan national » (p.15). Même s’il fait une très légère incursion dans l’histoire politique du Cameroun peu avant et peu après les indépendances pour montrer que celle-ci « a toujours été atypique mouvementée », il reste évident que l’auteur, dans cet essai, s’est plus intéressé à la période allant de 1980 à nos jours caractérisées par deux ruptures majeures dans l’évolution politique du Cameroun et servant de « ferment au retour du pluralisme » ( p.27), mais, surtout, à celle allant du début des années 90, ou « années de braise » ou de « violences démocratiques » à nos jours. Pour lui le prétexte est clair : c’est « le vingtième anniversaire du processus de démocratisation engagé en Afrique et dans plusieurs parties du monde, au lendemain de la chute du mur de Berlin et de la dislocation de l’empire soviétique [qui a donné] l’opportunité de réfléchir sur ce processus [qui], au Cameroun, [a coïncidé] avec les célébrations des cinquantenaires de la proclamation de l’indépendance nationale et de sa réunification, après plusieurs décennies de domination et de partage colonial» (p.15).
C’est dire s’il a parlé dans cet essai de l’opposition politique dans un contexte de démocratie, du moins de ce qui en tient lieu, mieux de démocratisation. Cela ne veut dire que son approche présuppose que les régimes autoritaires ignorent l’idée d’opposition. Ces régimes « peuvent s’en accommoder, mais de manière sélective, excluant les groupes, les parties ou les individus qui contreviennent à la norme autorisée, bousculant l’équilibre des forces et des moyens, accordant de manière arbitraire le droit à l’expression et à la publicité », selon les mots de Marc Sadoun. Pour illustrer cette affirmation, l’histoire nous enseigne que le Second Empire connaissait des candidatures officielles, que les régimes communistes pratiquaient la distinction entre l’opposition autorisée et la dissidence réprimée, qu’au Cameroun, à une période pas très lointaine, il y avait une sorte de compétition au sein du parti unique le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), que de nos jours de nombreux pays africains continuent d’avoir leur bonne opposition ou leurs bons partis politiques de l’opposition à la tête desquels trône, ad vitam æternam, des leaders dont on ne sait s’ils veulent gouverner le Cameroun ou s’ils veulent simplement se remettre en selle (p .37).
Parmi ces leaders, (presque tous des) anciens membres de l’Unc-Rdpc, alors parti unique, on peut citer : Ni John Fru Ndi, ou « le forcené solitaire de Ntarikon » selon les mots de l’auteur sur qui beaucoup d’espoir avaient été fondés mais dont les dérives monarchiques et dictatoriales ont confiné le Sdf dans son Nord Ouest natal (pp. 37-43); Bello Bouba Maïgari, président de l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (Undp) ou « le prince qui a perdu le nord », dont le destin est aujourd’hui intrinsèquement lié à celui de son compagnon et nouveau mentor, Paul Biya. (pp. 43-47); Adamou Ndam Njoya, président de l’Udc, ou le « serpent à deux têtes? » qui se contente du confinement de l‘Union démocratique du Cameroun (Udc) dans son Noum natal (pp. 47-50); Augustin Frédreric Kodock de regrettée mémoire, secrétaire général de l'une des branches de l'Union des populations du Cameroun (Upc) qui savait « agiter le panier à crabes pour mieux s’accrocher au serpent »(pp. 50-55) ; Yondo Marcel du Mouvement pour la libération et le développement du Cameroun (Mldc) qui a l’art de « brouiller le message du crabe pour mieux se tailler un fief » (pp.55-57) ; Dakolé Daïssala, président du Mouvement pour la défense de la République (Mdr), « une chèvre parmi les moutons » (pp. 57-62),pour ne citer que ceux-là.
Ces leaders de partis, pour la plupart croulants sous le poids de l’âge et qui ont confisqué leur parti, trônent, tels des « potentats », sortes de « rois thaumaturges », « infaillibles », et « inamovibles », à la tête des partis politiques pour la plupart fondés sur des bases tribales, régionales ou communautaristes. De sorte que dans ces formations politiques dites de l’opposition, il est courant de constater que pendant les grandes assises, les plus fervents des militants (jeunes et femmes), qui ont une faible représentativité au sein de l’appareil dirigeant du parti, s’occupent des aspects essentiellement folkloriques tels que la restauration et les danses folkloriques pendant que les autres, principalement les hommes, discutent des orientations majeures. Dans ces formations politiques où règne le culte de l’unanimisme, « c’est le numéro un, le Chairman, qui convoque les réunions des instances du partis, nomme, coopte, investit, le plus souvent exclut et quelque fois « élit » démocratiquement les plénipotentiaires » (p. 64)
Pour l’auteur de Cameroun : l’opposition en panne, depuis 20 ans, ces leaders qui avaient pensé qu’il suffisait de dire « Biya must go », « Carton rouge à Paul Biya », « Power to the people » et tutti quanti, pour changer l’ordre politique patrimonial et néo-patrimonial qui nous tient captifs de nos instincts de conservation, ont toujours conduit leurs partis vers de cuisantes défaites électorales sans jamais penser démissionner afin d’insuffler un nouveau souffle, un nouveau élan au sein de leur formations politiques.
Ces défaites successives sont dues, entre autres et selon l’auteur de L’opposition en panne, à une méconnaissance de l’espace politique national, aux entraves administratives, à l’absence de stratégie, à la naïveté, au défaitisme, au déficit d’engagement patriotique, à l’absence de structures d’encadrement et formation des militants, aux alliances gouvernementales hasardeuses et alimentaires, aux querelles de leadership, à l’égoïsme des leaders, à l’absence d’autocritique, la personnalisation du pouvoir, aux tares organisationnelles et structurelles, aux luttes intestines, au militantisme alimentaire et familial, à l’absence de culture politique et démocratie, à l’absence d’idéologie, de projet de société et de programmes, à une gestion opaque et patrimoniale, à l’absence de communication.

Alors que faire pour l’émergence d’une opposition crédible?
Selon Ahamdou Sehou, les perspectives d'avenir se déclinent sous trois axes majeurs: la refondation de l'opposition, les attentes susceptibles d'améliorer la démocratie camerounaise et l’arrimage du Cameroun à la marche du monde.  Car, souligne-t-il, «autant les partis politiques doivent revoir leur mode de fonctionnement interne et les rapports qu'ils entretiennent entre eux, autant l'architecture démocratique nationale présente de nombreuses carences qui brident leur action et doit être revue de fond en comble, pour garantir une véritable expression plurielle des sensibilités et des compétitions politiques plus équitables. L'impératif d'une démarche unitaire, la recherche d'un leadership crédible, la modernisation du cadre électoral, la libération des énergies militantes, la pérennité des sources de financement, l'amélioration de leur mode de communication sont autant d'enjeux qui interpellent les partis et le pays tout entier. Il s'agit avant tout d'ancrer le pays dans la modernité démocratique, de professionnaliser les partis et le personnel politique camerounais, de mettre un terme à cette interminable palabre sur les règles de dévolution du pouvoir afin de s'engager résolument dans la bataille du développement et de l'émergence du pays » (p.291). Ces pistes, qui selon l’auteur sont loin d'être exhaustives, balisent simplement le chemin pour surmonter quelques obstacles rencontrés par l'opposition camerounaise pendant ces deux dernières décennies.
C’est dire si au delà des défaillances structurelles et organisationnelles, l’opposition et les forces du changement ne peuvent renverser « la tendance, que si elles effectuent un diagnostic pertinent de la situation du Cameroun et mettent en cohérence l'analyse stratégique et les tactiques sur le terrain […] montrent qu'elles ont une vision du Cameroun, qu'elles constituent une espérance, qu'elles ont une capacité pour le changement et qu’elles ont une capacité pour gouverner le Cameroun. » (Germinal)
C’est pourquoi il est impérieux pour toutes les forces du changement de créer «un cadre de concertation pouvant leur permettre de régler des questions d'intérêt commun, de concevoir et de promouvoir des projets alternatifs crédibles, des approches politiques novatrices et efficaces, bref un cadre pour une véritable synergie d'associations et d'actions en vue de l'instauration d'un nouvel ordre politique et de l'alternance politique au Cameroun » (Germinal).
L’impression du déjà dit, du déjà lu ou du déjà entendu que peut avoir tout lecteur familier des écrits sur la démocratie camerounaise et sur les partis politiques au Cameroun, tout comme l’absence de ponctuation à certains endroits, les coquilles et le ton inutilement polémique que l’on peut relever en parcourant cet essai n’enlèvent rien aux l’intentions pédagogiques de l’ouvrage et de l’auteur. La variété des sujets abordés, le diagnostic critique effectué sans a priori ni concession, peut-on dire, les propositions pour sortir l’opposition de l’impasse actuelle font de L’opposition en panne un miroir dans lequel tout homme politique, principalement les leaders de l’opposition camerounaise devraient se mirer afin d’éviter de reproduire les mêmes tares, les mêmes erreurs et d’affiner leurs stratégies de conquête du pouvoir politique.
L’essai commis par Ahmadou Sehou mérite d’être lu et certaines propositions méritent d’être prises en compte.
Jean-Bosco Talla
*Ahmadou Sehou, Cameroun : L’opposition en  panne. Autopsie critique et propositions de relance, Yaoundé, Lupeppo, 2012, 473 pages.